Extrait de l'oeuvre d'Hyacinthe Langlois : 

Essai sur la peinture, "La peinture sur verre", 
pages 32 à 39.

    "Revenons maintenant à la vitre consacrée à saint Julien-l’Hospitalier , et donnons , dans un sommaire de la vie de ce bienheureux , l’explication des sujets compris dans les compartiment de cette curieuse verrière .

    Ce saint , sur les lieux de la naissance et de la mort duquel les légendaires ont gardé le silence, sortait de parens illustres qui l'élevèrent dans les exercices convenables à sa condition relevée; aimant, dans sa jeunesse, passionnément la chasse, un jour qu’il poursuivait un cerf qu’il était près d’atteindre et de mettre à mort, l’animal, se tournant vers son persécuteur lui cria d’une voix terrible : Tu me poursuis , toi qui tueras ton père et ta mère . Frappé d’horreur, et voulant éviter l’accomplissement de cette épouvantable prophétie, le chasseur à l’instant même, se bannit pour jamais du manoir paternel, et se retire en secret dans une contrée lointaine, vers un certain prince qui, bientôt appréciant ses grandes qualités, lui confie le commandement de sa gendarmerie et lui fait obtenir la main d’une jeune veuve châtelaine de la plus haute extraction.

    Dans ces entrefaites, le père et la mère de Julien , inconsolables de sa perte, entreprennent sa recherche, et le sort après beaucoup de peines et de fatigues, les conduits à leur insu, dans le château de ce fils bien-aimé, absent alors. Cependant la châtelaine reçoit avec bienveillance ces vénérables voyageurs, s’informe de leur condition, et, les reconnaissant à leur discours pour les parens de son mari, joint aux plus tendres égards la respectueuse attention de les faire reposer dans son propre lit . Ramené par sa fatale étoile, Julien revient chez  lui vers le point du jour; sans s’informer de ce qui s’y était passé pendant son absence, il monte dans son appartement pour embrasser son épouse, et s’approche doucement de la couche nuptiale à peine éclairée par la lueur incertaine du crépuscule…..O douleur ! ô cruelle méprise ! il se croit trahi par un criminel adultère. Transporté de fureur, il ne délibère pas, de sa funeste épée et fait, sans rompre le silence, passer de leur paisible sommeil à celui de l’éternité les déplorables auteurs de ses jours . Aussitôt , désespéré, l’ame égarée, il s’enfuit avec horreur de sa propre demeure, dont à peine il a franchi le seuil, que sa chaste et douce épouse, revenant de la messe de l’aurore, se présente devant lui la sérénité sur le front. A cette apparition inattendue, les yeux de julien sont dessillés; dans son trouble, dans son affreuse inquiétude, il demande, en frissonnant, le nom de ceux qu’il a surpris dans son lit, et la réponse qu’il reçoit achève de lui déchirer le cœur. " Dieu tout puissant , s’écrie t-il, mes affreux destins sont donc accomplis! Adieu, ma chère sœur, ajoute t-il en embrassant tendrement son épouse après l’avoir instruite de son malheur, adieu, vivez heureuse, oubliez un misérable qui va dans le fond d’un désert s’imposer une pénitence dont il ne pourra proportionner la rigueur à l’énormité de son crime mais qui, peut-être, lui en obtiendra le pardon de la miséricorde infinie. Ah! mon frère, répond la châtelaine fondant en larmes, pouvez-vous méconnaître à ce point le cœur de votre épouse, pouvez-vous le croire capable de vous abandonner lâchement sous le poids de vos maux ? Oh ! non, non, jamais! Eh bien, renoncer au monde, partez si vous voulez; mais, après avoir partagé vos plaisirs, je m’attache à vos pas pour partager vos peine."

    Voilà donc les tristes époux en route. Au bout de quelques jours, ils atteignirent un lieu sauvage où coule une grande rivière célèbre par les nombres des victimes de son onde perfide. C’est là que Julien se consacre, en qualité de simple passager, à la sûreté des voyageurs et des pèlerins ; c’est là que bientôt s’élève sur le rivage un petit hôpital où, nuit et jour le charitable couple prodigue les plus tendres soins à l’humanité souffrante.

    Au bout de quelques années écoulées de la sorte, dans le fort d’un rigoureux hiver et vers le milieu de la nuit, les deux époux entendirent la voix lamentable d'un homme qui, de la rive opposée, les appelait en gémissant. Dans cet instant, une effroyable tempête semblait confondre les éléments, et les vents furieux bouleversaient les flots du fleuve qui rugissait au sein des plus noires ténèbres. Que fera Julien? doit-il s'exposer pour un inconnu, pour un brigand, peut-être, à une mort presque certaine? Il ne balance point cependant, et sa femme elle-même approuvant son généreux dévouement, le saint bâtelier se couvre à la hâte de ses vêtements, s'élance dans sa barque, et, luttant avec succès contre les vents et les vagues, guidé par le fanal que tient son épouse réstée sur le rivage, il accueille et conduit chez lui le pauvre étranger. De quel pénible spectacle est témoin alors le couple l'Hospitalier! L'Inconnu, hideux rebut de la nature et de la société, est couvert d'une lèpre vive qui révolte horriblement l'odorat et la vue, et les membres glacés de ce malheureux ne peuvent recouvrer, par l'impression du feu le plus ardent, le mouvement et la vie; déjà son coeur ne bat plus; c'en est fait; il va mourir..... O sainte, ô ingénnieuse pitié! Que font les deux époux? S'aveuglant sur le terrible danger auquel ils s'exposent, ils étendent au milieu d'eux, dans leur propre lit, leur affreux hôte, et se pressent à ses côtés pour lui communiquer leur chaleur naturelle; enfin ils le voient avec transport revenir à la vie, et bientôt le sommeil et la paix planent sur la couche vénérable. Généreux martyrs de la charité, quel beau jour va luire sur vos têtes! Déjà ses premiers rayons pénètrent dans votre sainte et secourable demeure, et, vous éveillant l'un et l'autre, vous cherchez, saisi d'étonnement et de crainte, à reconnaître le misérable malade dans l'être surnaturel qui, resplendissant de lumière et de majesté, se montre à vos yeux éblouis. Mortels bienfaisans, n'en doutez point, vous le voyez encore cet objet de votre héroïque pitié, mais dans Jésus lui-même, dont la voix vous console, dont la main vous bénit. C'est ton sauveur, ô Julien, qui, touché de tes longues douleurs, vient essuyer tes larmes, t'apporter le pardon de ton crime, et t'annoncer que tu dois, ainsi que ta vertueuse épouse, embrasser, dans le séjour de la gloire éternelle, tes bons et malheureux parens.

    Aussitôt le divin fils de Marie disparut, et, peu de tems après, ses vertueux hôtes s'endormant de la mort des justes furent chercher dans son sein le bonheur dont ses paroles leur avaient donné l'assurance.

    Saint Julien est une des bienheureux auxquels fut consacrées jadis les chapelles de la cathédrale, et l'examen des figures ( en bas ) de cette verrière, nous la fait, ainsi que le poisson placé dans l'angle de la bordure, regarder comme un don fait à cette église, dans le XIII siècle, par les bateliers-pêcheurs ou les marchands poissonniers de Rouen. Nous hésitons d'autant moins à faire cet honneur à l'une ou à l'autre de ces corporations, dont les attributs nous paraissent clairement exprimés, que dans les cartouches inférieurs de la vitre voisine, représentant la vie de Joseph, on remarque des tondeurs de draps tenant leurs forces à la main, et une grande figure de cet instrument, emblême irrécusable de la profession des donateurs."