"Quelques regards sur Rouen"

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Textes supports pour la séquence n°3 sur la description
extraits de Madame Bovary 
de Gustave Flaubert.

Extrait n°1 :

     Madame Bovary avait ouvert sa fenêtre sur le jardin, et elle regardait les nuages. Ils s'amoncelaient au couchant, du côté de Rouen, et roulaient vite leur volutes noires, d'où dépassaient par derrière les grandes lignes du soleil, comme les flèches d'or d'un trophée suspendu, tandis que le reste du ciel vide avait la blancheur d'une porcelaine. Mais une rafale de vent fit se courber les peupliers, et tout à coup la pluie tomba; elle crépitait sur les feuilles vertes. Puis le soleil reparut, les poules chantèrent, des moineaux battaient des ailes dans les buissons humides, et les flaques d'eau sur le sable emportaient en s'écoulant les fleurs roses d'un acacia .

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Extrait n°2 :

    Enfin, les maisons de briques se rapprochaient, la terre résonnait sous les roues, l'hirondelle glissait entre des jardins, où l'on apercevait par une clairevoie des statues, un vignot, des ifs taillés et une escarpolette. Puis, d'un seul coup d'œil, la ville (de Rouen) apparaissait. Descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard, elle s'élargissait au-delà des ponts, confusément. La pleine campagne remontait ensuite d'un mouvement monotone, jusqu'à toucher au loin la base indécise du ciel pâle. Ainsi vu d'en haut, le paysage tout entier avait l'air immobile comme une peinture; les navires à l'ancre se tassaient dans un coin: le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes, et les îles, de forme oblongue, semblaient sur l'eau de grands poissons noirs arrêtés. Les cheminées des usines poussaient d'immenses panaches bruns qui s'envolaient par le bout. On entendait le ronflement des fonderies avec le carillon clair des églises qui se dressaient dans la brume. Les arbres des boulevards, sans feuilles, faisaient des broussailles violettes, au milieu des maisons, et les toits, tout reluisants de pluie, miroitaient inégalement, selon la hauteur des quartiers . Parfois un coup de vent emportait les nuages vers la côte Sainte-Catherine, comme des flots aériens qui se brisaient en silence contre une falaise.

    Quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées, et son coeur s'en gonflait abondamment, comme si les cent vingt mille âmes qui palpitaient là eussent envoyé toutes à la fois la vapeur des passions qu'elle leur supposait. Son amour s'agrandissait devant l'espace, et s'emplissait de tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient. Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les promenades, sur les rues, et la vieille cité normande s'étalait à ses yeux comme une capitale démesurée, comme une Babylone où elle entrait. Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise; les trois chevaux galopaient tandis que les bourgeois qui avaient passé la nuit au Bois-Guillaume descendaient la côte tranquillement dans leur petite voiture de famille.

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Extrait n°3 :

    Dans les beaux soirs d'été, à l'heure où les rues tièdes sont vides, quand les servantes jouent au volant sur le seuil des portes, il ouvrait sa fenêtre et s'accoudait. La rivière, qui fait de ce quartier de Rouen comme une ignoble petite Venise, coulait en bas, sous lui, jaune, violette ou bleue, entre ses ponts et ses grilles. Des ouvriers, accroupis au bord, lavaient leurs bras dans l'eau.

    Sur des perches partant du haut des greniers, des écheveaux de coton séchaient à l'air. En face, au-delà des toits, le grand ciel pur s'étendait, avec le soleil rouge se couchant. Qu'il devait faire bon là-bas! Quelle fraîcheur sous la hêtraie ! Et il ouvrait les narines pour aspirer les bonne odeurs de la campagne, qui ne venaient pas jusqu'à lui.

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